L’Association des Conseillers d’orientation-Psychologues de France lance cet appel:
A la rentrée 2013, des milliers d’élèves et d’étudiants de la 6ème à l’enseignement supérieur risquent de ne plus pouvoir bénéficier de l’accompagnement et de l’aide à l’orientation que leur apportent les conseillers d’orientation-psychologues dans les Centres d’Information et d’Orientation et dans les établissements où ils exercent leur métier.
Vincent Peillon, Ministre de l'Éducation nationale, en accord avec l’Association des Régions de France, prévoit en effet de confier ces personnels de l'Éducation nationale aux régions pour qu'ils y accomplissent des missions d’insertion et de placement.
On aurait pu attendre d’un ministre que la presse présente comme un éminent connaisseur des penseurs et des pédagogues républicains qu’il ait une conception plus haute d’une fonction éducative décisive dans le parcours d’une personne, la première orientation :
La France a été, dès le début du XXe siècle, un des berceaux de l’orientation. La profession de conseiller d’orientation-psychologue plonge ses racines dans un passé maintenant séculaire. Mais, contrairement à d’autres pays comme les États-Unis, le conseil en orientation est entré tardivement dans l’enseignement secondaire français, avec la réforme Berthoin de 1959 et l’explosion scolaire des années 1960. Auparavant, l’orientation était professionnelle, c’est-à-dire destinée aux enfants quittant l’école primaire et se destinant à une entrée rapide sur le marché du travail.
Longtemps, l’enseignement secondaire a fermé ses portes à l’orientation, y voyant une menace pour la reproduction sociale dont il était un rouage. L’orientation en France s’est donc développée dans le sillage des mouvements soutenant la démocratisation scolaire, notamment « l’école unique ». Ce n’est pas un hasard si c’est avec les «classes d’orientation » de Jean Zay, puis les « classes nouvelles » de Monod que la notion d’orientation est enfin entrée dans le secondaire. Les promoteurs de l’orientation provenaient du camp progressiste et s’incarnaient dans des personnalités aussi importantes qu’Henri Laugier, Henri Piéron, Henri Wallon.
On ne peut que s’inquiéter de l’évolution qui semble, aujourd’hui, s’imposer aux responsables de l'Éducation nationale ; non seulement ils méconnaissent le rôle essentiel des conseillers d’orientation-psychologues dans le parcours des élèves et dans le fonctionnement quotidien des établissements scolaires, mais plus fondamentalement ils semblent réduire l’orientation à l’orientation professionnelle et aux problèmes d’insertion et de décrochage scolaire. Il faut se souvenir que dans les périodes de chômage, la réduction de l’orientation à un simple placement des jeunes en fonction des besoins de l’économie a toujours été une constante.
Dans les années 1960, les commissions du Plan préconisaient également l’adéquation des orientations aux besoins de l’économie. Or, tous les travaux scientifiques ont montré et continuent de montrer que cette adéquation est une chimère. Vouloir la réactualiser au niveau des Régions ne changera rien à ce constat.
Plutôt que d’évincer à « bas bruit » les conseillers d’orientation-psychologues et les Directeurs de Centres d'Information et d'Orientation (CIO), il faudrait commencer par les reconnaître et par leur donner des perspectives politiques claires qui ne soient pas celles d’un reniement de la dimension éducative de l’orientation de l'Éducation nationale.
Aujourd’hui, nous interpellons le Ministre de l’Education nationale : ce choix de vous défaire des CIO et de réduire la mission éducative des conseillers d’orientation-psychologues aux seules questions liées à l’emploi, la perspective de mettre l’Ecole sous le commandement direct des besoins économiques que vous savez aléatoires, sont des actes lourds de conséquences. Rien ne justifie ces choix et votre responsabilité de Ministre de l'Éducation nationale n’en est que plus grande.
C’est à nous aujourd’hui, à l’histoire demain que vous devrez rendre compte, du démantèlement du service
public d’orientation de l'Éducation nationale, au mépris des leçons du passé et des menaces qui pèsent sur l’avenir de notre jeunesse.
Premiers signataires : Jean-Louis AUDUC, Ancien directeur des études de l'IUFM de Créteil ; Sylvie AYRAL,
Docteur en sciences de l'éducation ; Choukri BEN AYED, Sociologue ; André CAROFF Inspecteur Général
Honoraire ; Pierre CHAMPOLLION, Président de l'Observatoire éducation et territoire ; Yves CLOT, Professeur des
universités en psychologie du travail, titulaire de la chaire de psychologie du travail du CNAM ; Francis
DANVERS, Professeur des universités en psychologie de l’éducation ; Michel ELIARD, Sociologue de l’éducation,
Professeur émérite ; Bernard FRIOT, Economiste et Sociologue, Professeur émérite ; Roland GORI, Professeur
émérite des Universités, Psychanalyste ; Jean GUICHARD, Professeur de Psychologie de l'Orientation, INETOPCNAM,
Paris ; Catherine HENRI, enseignante et écrivain ; Christian Laval, Professeur des universités en
sociologie ; Jérôme MARTIN, Historien de l’Orientation et enseignant ; Bruno QUINTARD, Président de la Société
Française de Psychologie et Professeur des universités en Psychologie ; Marie-Rose MORO, psychiatre d'enfants et
d'adolescents, psychanalyste et chef de service de la « maison de Solenn » ; Maurice REUCHLIN, ancien professeur
de Psychologie et ex directeur de l’INETOP ; Pierre ROCHE, Président du Groupe de Recherches sur l’Evolution de
l’Orientation scolaire et professionnelle ; Jean-Yves ROCHEX, Psychologue et Professeur des universités en
sciences de l’éducation ; Marie Jean SAURET, Professeur des Universités, Directeur du Département de
Psychologie clinique du sujet.
Les signataires