POUR L’EMPLOI ARTISTIQUE
Lettre ouverte à Manuel Valls sur la politique culturelle de la France
Monsieur le Premier Ministre,
Dimanche 6 juillet, dans le Gard, vous avez déclaré : "Je veux être le Premier ministre qui remet la culture comme la grande priorité du quinquennat de François Hollande parce que la culture c'est la vie". Mieux encore, vous avez exprimé cette volonté qui rencontre nos préoccupations : celle de « mettre l'artiste au coeur de la société".
Nous disons chiche !
Mais, Monsieur le Premier Ministre, quelle est votre vision d’une grande politique culturelle pour la France ?
S’il s’agit de transformer notre pays en un vaste centre d’animation où tout le monde est artiste mais personne ne l’est vraiment ; où l'artiste se voit parachuté animateur social ; où le nombre de projets mal financés et mal diffusés augmente inexorablement ; où la précarité à tous les postes devient la norme ; où la représentation de la diversité de la société française n'existe quasiment pas et ce dès les concours d'entrées des Ecoles Nationales ; où les postes de direction ne sont tenus que par des hommes ; où les artistes se transforment en micro-entrepreneurs ultra précarisés… alors continuons, nous sommes sur la bonne voie.
S’il s’agit au contraire de soutenir la création d’œuvres qui rayonneront en France, en Europe et dans le Monde tout en étant accessibles à tous les citoyens ; de favoriser des formations pointues et exigeantes accessibles à tous les talents, quelles que soient leurs classes sociales ou leurs origines ; de permettre à ces talents de se révéler et de leur en donner les moyens ; de permettre aux femmes d'accéder aux responsabilités en accord avec leurs compétences ; d'avoir une grande politique de diffusion des oeuvres sur tout le territoire ; de favoriser une création dynamique et vivante… alors oui, « il faut mettre l’artiste au cœur de la société » ! Ce n'est pas urgent… c'est maintenant.
Mais pour cela les mots ne suffisent plus. Il faut dès à présent mettre en œuvre de profondes réformes dans nos politiques culturelles et dans les structures de diffusion et de création : par exemple flécher les financements publics vers l’emploi artistique ; exiger des institutions le respect scrupuleux de leur cahier des charges ; exiger de toute production le respect des obligations sociales ; permettre et favoriser la création de grandes troupes ; tendre vers la permanence artistique dans l’institution… en un mot avoir une politique axée sur le travail artistique, l'emploi, et la diffusion des œuvres.
Depuis 2003, de nombreux rapports ont été écrits sur le sujet (Latarjet, Guillot, Kert), le comité de suivi a été créé, il existe une expertise en la matière et des pistes de travail. Vous avez permis la création d'une mission confiée à Monsieur Jean-Patrick Gille. Il nous semble important aussi d'écouter la parole des professionnels, représentés ou non par une organisation, qu'elle soit syndicale ou associative, car ce sont eux, jeunes et moins jeunes, qui font les oeuvres et sont en première ligne. Appelez-les, ils répondront présents et sauront proposer des idées concrètes.
Par ailleurs, les signataires de cette lettre, quand bien même ils bénéficient d'un régime spécifique d'indemnisation chômage et le défendent, ne se reconnaissent pas dans le qualificatif d’«intermittents». « Intermittent » n’est pas une profession, et nous considérons que la confusion entre un métier (comédien, metteur en scène, réalisateur, danseur, chanteur, musicien, circassien, marionnettiste, technicien etc...) et un régime d'assurance-chômage, contribue à l'appauvrissement de l'identité de l'artiste dans la société.
Nous ne pensons pas que le régime de l’intermittence ait pour vocation de servir de modèle à l’ensemble des métiers dits précaires : nous trouvons curieux et paradoxal que ceux qui se présentent comme les adversaires de la précarité souhaitent l’extension d’un système ultra flexible et ultra concurrentiel – en un mot, ultralibéral - qui n’offrirait comme perspective que la propagation de cette précarité, en la légitimant.
Enfin nous insistons sur le fait que la responsabilité de la situation actuelle ne revient pas principalement aux artistes et aux techniciens du spectacle, mais d’abord à nos tutelles nationales, régionales, départementales, qui ont depuis trop longtemps incité tout porteur de projet à fonder sa propre structure, afin de disposer d’une offre culturelle foisonnante, à bon compte, et sans jamais vouloir en payer le prix.
Monsieur le Premier Ministre, nous savons que les Français comprennent mal ce qui se passe et qu'il est mortifère, en démocratie, de ne pas fédérer la société autour de ses artistes. Les artistes et les techniciens de ce pays n'ont pas peur d'aborder toutes les questions, même celles qui fâchent. Ils ont choisi un métier par passion et par conviction, non par confort.
Nous n'attendons donc pas un message d'affection, ni la charité, ni un énième replâtrage qui masquerait les fissures d’une maison s’écroulant sous nos yeux... Nous attendons une vision, une politique, un projet digne de ce nom. De la pensée en action en somme !
Chiche ?
Les signataires