Monsieur le Président,
Depuis une dizaine d’années, l’Université de Tours accueille toujours plus d’étudiant.e.s, alors que ses moyens ne suivent pas la même progression, surtout si l’on considère les conditions et missions nouvelles avec lesquelles il nous faut composer. Dans le même temps où les budgets récurrents stagnent, des financements dits « sur projets » creusent des inégalités territoriales et thématiques, et désormais autant sur le plan scientifique que pédagogique. Cette logique menace l’existence même d’un service public national d’Enseignement Supérieur et de Recherche et crée des disparités lourdes dans les conditions de travail des personnels, quels que soient leurs métiers et leurs statuts.
Dans le cadre de la phase 3 des Programmes d’Investissements d’Avenir, le CGI (commissariat aux grands investissements) a accordé à notre université 800 000 euros par an sur 10 ans pour l’amélioration de la réussite étudiante, sous le label PaRM. C’est peu (moins de 0,4% du budget global de l’université) et très insuffisant, d’autant que ces moyens nouveaux ne seraient affectés qu’à des opérations d’enseignement modulaire et à distance, via des plateformes numériques. L’emploi scientifique, si malmené aujourd’hui (deux fois moins d’enseignant.e.s-chercheur.e.s vont être recruté.e.s en 2019 qu’il y a dix ans) ne se verrait pas davantage soutenu puisque le projet PaRM ne prévoit pas en l’état le recrutement de titulaires.
De nombreux flous subsistent sur le projet PaRM et ses présupposés quant à la conception de l’enseignement supérieur, sur les modalités de sa mise en œuvre (normalisation des méthodes et des savoirs, marginalisation de l’enseignement en présentiel, déshumanisation de la relation enseignant.e/étudiant.e). Nous ne nous opposons pas, cela est évident, à des mesures visant la réussite de nos étudiant.e.s, particulièrement celles et ceux éloignés de leurs études parce que chargé.e.s de famille, salarié.e.s ou en situation de handicap. Mais l’articulation étroite entre le renforcement de l’organisation modulaire et l’usage pédagogique du numérique dans la formation initiale pose problème, comme nous l’avons déjà souligné dans notre texte de position précédent :
• l’efficacité pédagogique du numérique reste incertaine, comme le montrent bien des travaux sur la question (cf. entre autres, André Tricot, 2017, L’innovation pédagogique, Paris, Retz). On peut d’ailleurs faire le même constat sur l’organisation modulaire, puisque cette dernière n’a pas encore fait l’objet d’une évaluation complète alors que les résultats aux examens du premier semestre nous incitent à la plus grande prudence ;
• nous ne sommes pas las, en quoi que ce soit, d’être en présence de nos étudiants, et cette rencontre humaine est fondamentale pour nous dans notre enseignement. Nous désapprouvons la méthode qui va nous inciter (dans un premier temps), puis nous obliger (dans un second), à consacrer une part très conséquente de notre temps de travail à l’enseignement à distance ;
• les informations communiquées sur PaRM restent imprécises et l’accès au dossier complet officiellement déposé a été refusé dans plusieurs instances, dont le Conseil d’Administration. De plus, nous n’avons absolument pas été associés au montage de ce projet. Or, en matière d’enseignement et d’orientations pédagogiques, nous sommes les premiers concernés et les plus compétents ;
• nous n’avons aucune garantie au sujet des futures conditions de travail : Qui sera propriétaire des cours en ligne que nous aurons éventuellement conçus ? De quelle durée sera la validité d’un cours en ligne ? Dans quelle mesure les cours en ligne ne seront pas assimilés à des prestations de service qui pourront alors être assurées par des sociétés privées ou par des « entrepreneurs en formation supérieure » ? La question de la propriété va au-delà même de la rémunération : elle engage une réflexion sur une université sans universitaires ;
• le budget PaRM est presque entièrement consacré aux activités périphériques de l’enseignement (investissement dans le dispositif numérique et mise à disposition de conseillers en pédagogie), alors que nous avons surtout besoin d’enseignant.e.s-chercheur.e.s et de collègues BIATSS (en particulier pour les secrétariats pédagogiques et le secrétariat des équipes de recherche). Les seuls enseignants-chercheurs recrutés seront des A.T.E.R. : quel avenir pour ces collègues, étant donné l’état catastrophique de l’emploi scientifique aujourd’hui ?
• a-t-on procédé à l’étude d’impact environnemental d’un tel projet qui nécessitera de nouveaux serveurs, l’augmentation du trafic et in fine une surconsommation électrique et énergétique ? Cette question s’impose d’autant plus que l’Université de Tours ambitionne d’être en pointe en matière de développement durable.
Ces différents points ont d’ores et déjà fait l’objet d’un texte voté par différents départements (géographie, histoire de l’art, lettres, etc.) et en Conseil d’UFR ASH. Ils sont discutés par les collègues qui s’inquiètent de plus en plus du contenu de ce projet et se sont exprimés dans les Conseils d’UFR et les conseils centraux à ce sujet.
C’est pourquoi, Monsieur le président, nous vous demandons d’ouvrir enfin au sein des instances de l’université les débats et arbitrages collectifs indispensables à un projet pédagogique partagé, et de mettre à plat les besoins de tou.tes, dans toutes les disciplines et selon toutes les modalités de formation afin que :
• les modestes moyens du CGI ne relèvent pas d’une confiscation à des fins très singulières mais bénéficient à tou.te.s ;
• la sous-dotation de notre établissement soit au plus vite corrigée par l’État en construisant avec tout le personnel et les étudiant.e.s le rapport de forces nécessaire.
Les signataires